Le propre de l'Homme

« La différence entre l’esprit de l’humain et celui de l’animal le plus évolué, aussi importante soit-elle, en est certainement une de degré et non pas de nature. »

« Les sens et intuitions ainsi que les émotions et facultés variées, telles que l’amour, la mémoire, l’attention, la curiosité, l’imitation, la raison, etc., desquelles les hommes se vantent, peuvent être observées, dans un état primitif ou bien développé, chez les animaux les plus simples. » Charles Darwin

On ne peut qu'être frappé de la permanence dans la littérature d'un discours sur la spécificité de l'homme (seul l'homme sait rire, ou fabriquer des outils, ou enterrer ses morts, ou parler, ou avoir le sentiment du beau, etc.). L'objectif n'en est certainement pas de permettre le repérage concret des sujets appartenant à l'espèce humaine, car personne n'a eu à ce jour besoin des lumières de la philosophie pour distinguer un homme d'un cheval. Et quand bien même ce serait le cas, on pourrait se contenter des données dont on se sert habituellement pour délimiter une espèce (critères morphologiques, code génétique...). Seulement ces critères-là ne conviennent pas au dessein poursuivi : ils tendent naturellement à définir chaque espèce par le fait qu'elle constitue une variante sur le plan d'un ou plusieurs caractères que l'on retrouve chez d'autres. Et l'approche biologique permet tout au plus de confirmer ce qui était évident au départ : l'homme est un animal que l'on peut distinguer de tous les autres, mais on pourrait dire la même chose de la girafe. Les critères que proposent les penseurs de tous bords ont une fonction différente : il s'agit de prouver à tout prix que l'homme est d'une autre essence que les animaux. Sinon comment expliquer que dès qu'une des distinctions que l'on avait crue décisive tombe ou n'apparaît plus que comme une question de degré et non pas comme le signe d'une altérité radicale (pas de chance, les animaux communiquent, certains emploient des outils...) les esprits se rebellent et s'empressent de minimiser la ressemblance (les singes apprennent des mots mais pas un langage, ou s'ils apprennent un langage ils sont incapables de l'enseigner à leurs enfants...) ou de trouver un critère qui s'avérera espère-t-on plus solide que le premier. Mais pourquoi cette obstination à différencier l'homme de l'animal, et toujours dans des termes qui mettent en valeur sa supériorité ou son altérité ? La seule réponse convaincante, me semble-t-il, est que l'on cherche par là à empêcher l'émergence de toute interrogation sur la légitimité de l'usage que nous faisons des animaux contre leur intérêt. C'est une arme absolue contre la mauvaise conscience qui ne manquerait pas de se manifester si nous ne réprimions pas avec énergie le sentiment obscur que ces êtres nous ressemblent. Tous les critères proposés pour affirmer la supériorité de l'homme sont dans leur vocation ultime de même nature que la thèse de la machine de Descartes, même si leur apparence est moins brutale. (Estiva Reus)

http://www.cahiers-antispecistes.org/spip.php?article60

 

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